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La montée du nazisme et le génocide juif vu aujourd’hui (2/3) : La mort est mon métier de Robert Merle

« Immédiatement après 1945, on vit paraître en France nombre de témoignages bouleversants sur les camps de la mort outre-Rhin. Mais cette floraison fut brève. Le réarmement de l’Allemagne marqua le déclin, en Europe, de la littérature concentrationnaire. Les souvenirs de la maison des morts dérangeaient la politique de l’Occident : on les oublia.

 

Quand je rédigeai La Mort est mon Métier, de 1950 à 1952, j’étais parfaitement conscient de ce que je faisais : j’écrivais un livre à contre-courant. Mieux même : mon livre n’était pas encore écrit qu’il était déjà démodé.

 

Je ne fus donc pas étonné par l’accueil que me réserva la critique. Il fut celui que j’attendais. Les tabous les plus efficaces sont ceux qui ne disent pas leur nom.

 

De cet accueil je puis parler aujourd’hui sans amertume, car de 1952 à 1972, La Mort est mon Métier n’a pas manqué de lecteurs. Seul leur âge a varié : ceux qui le lisent maintenant sont nés après 1945. Pour eux, La Mort est mon Métier, « c’est un livre d’histoire ». Et dans une large mesure, je leur donne raison.

 

Rudolf Lang a existé. Il s’appelait en réalité Rudolf Hoess et il était commandant du camp d’Auschwitz. L’essentiel de sa vie nous est connu par le psychologue américain Gilbert qui l’interrogea dans sa cellule au moment du procès de Nuremberg. Le bref résumé de ces entretiens – que Gilbert voulut bien me communiquer – est dans l’ensemble infiniment plus révélateur que la confession écrite plus tard par Hoess lui-même dans sa prison polonaise. Il y a une différence entre coucher sur le papier ses souvenirs en les arrangeant et être interrogé par un psychologue…

 

La première partie de mon récit est une re-création étoffée et imaginative de la vie de Rudolf Hoess d’après le résumé de Gilbert. La deuxième -où, à mon sens, j’ai fait véritablement œuvre d’historien- retrace, d’après les documents du procès de Nuremberg, la lente et tâtonnante mise au point de l’Usine de Mort d’Auschwitz.

 

Pour peu qu’on y réfléchisse, cela dépasse l’imagination que des hommes du XXe siècle, vivant dans un pays civilisé d’Europe, aient été capables de mettre tant de méthode, d’ingéniosité et de dons créateurs à construire un immense ensemble industriel où ils se donnaient pour but d’assassiner en masse leurs semblables.

 

Bien entendu, avant de commencer mes recherches pour La Mort est mon Métier, je savais que de 1941 à 1945, cinq millions de juifs avaient été gazés à Auschwitz. Mais autre chose est de le savoir abstraitement et autre chose de toucher du doigt, dans des textes officiels, l’organisation matérielle de l’effroyable génocide. Le résultat de mes lectures me laissa horrifié. Je pouvais pour chaque fait partiel produire un document, et pourtant la vérité globale était à peine croyable.

 

Il y a bien des façons de tourner le dos à la vérité. On peut se réfugier dans le racisme et dire : les hommes qui ont fait cela étaient des Allemands. On peut aussi en appeler à la métaphysique et s’écrier avec horreur, comme un prêtre que j’ai connu : « Mais c’est le démon ! Mais c’est le Mal ! ».

 

Je préfère penser, quant à moi, que tout devient possible dans une société dont les actes ne sont plus contrôlés par l’opinion populaire. Dès lors, le meurtre peut bien lui apparaître comme la solution la plus rapide à ses problèmes.

 

Ce qui est affreux et nous donne de l’espèce humaine une opinion désolée, c’est que, pour mener à bien ses desseins, une société de ce type trouve invariablement les instruments zélés de ses crimes.

 

C’est un de ces hommes que j’ai voulu décrire dans La Mort est mon Métier. Qu’on ne s’y trompe pas : Rudolf Lang n’était pas sadique. Le sadisme a fleuri dans les camps de la mort, mais à l’échelon subalterne. Plus haut, il fallait un équipement psychique très différent.

 

Il y a eu sous le Nazisme des centaines, des milliers, de Rudolf Lang, moraux à l’intérieur de l’immoralité, consciencieux sans conscience, petits cadres que leurs sérieux et leurs « mérites » portaient aux plus hauts emplois. Tout ce que Rudolf fit, il le fit non par méchanceté, mais au nom de l’impératif catégorique, par fidélité au chef, par soumission à l’ordre, par respect pour l’État. Bref, en homme de devoir et c’est en cela justement qu’il est monstrueux.

 

Le 27 avril 1972

 

Robert Merle »

 

Attention, grand livre, deuxième grand livre dans mes livres préférés (après l’Etranger de Camus).

Précédemment, je parlais du film sur Hannah Arendt, philosophe qui défendait l’hypothèse qu’Adolf Eichmann n’était qu’un médiocre bureaucrate, et non l’horrible monstre dépeint.

Elle a d’ailleurs écrit un livre en 1963 qui lui a valu une polémique.

Pourtant, en 1952, Robert Merle écrivait un livre sur le même sujet, la Mort est mon métier.

Ce livre, qui est un roman s’inspirant de Rudolf Franz Ferdinand Höss, appelé dans le roman Rudolf Lang, permet de comprendre comment quelqu’un, banal, médiocre, en arrive à construire la machinerie afin d’exterminer le plus possible de ses semblables.

Ce livre montre, à travers une histoire, à travers la vie romancé du commandant d’Auschwitz, comment n’importe qui peut devenir un parfait nazi.

 

Il ne s’agit pas d’excuser, mais de comprendre. De comprendre, afin que ça ne se reproduise pas.

Le roman nous narre donc la vie de Rudolf Lang, de son adolescence jusqu’à son arrestation.

Il est en deux parties.

La première, la plus romancé, nous parle de sa jeunesse, de son  adhésion et de sa monté dans l’appareil nazi.

Au début, il est aux prises avec un père autoritaire qui, pour expier une de ses fautes, veut le voir devenir curé.

Il finit par avoir la religion en grippe.

Son père meurt.

La première guerre mondiale est déclarée. Suivant l’exemple de son oncle Franck, il se mobilise.

Il revient en ayant perdu la guerre.

Rejeté par sa famille (car il apprend la mort de l’oncle Franc et sa question est « Comment l’oncle Franck est mort »), il subit le chômage, la république de Weimar et la misère.

Il songe au début à se suicider, mais un ami le convainc d’adhérer au parti nazi.

Au début, il se voit confier une ferme avec sa femme où il vit paisiblement.

Puis, Hitler arrive au pouvoir.  Il rentre dans les SS et monte la hiérarchie du régime Nazi.

 

Dans la seconde partie, plus historique, le héros est choisi par Himmler pour la mission de sa vie : mettre en  œuvre la solution finale.

Il va optimiser le processus, aussi bien pour tuer que pour se débarrasser des cadavres.

Il a un objectif, mais il fera tout pour faire mieux. Il le fera que pour obéir aux ordres.

Il ne comprendra d’ailleurs pas les états d’âmes de sa femme, ni ceux de son subordonné qui se suicidera.

A la fin, l’Allemagne est battue. Il sera arrêté et dira qu’il a juste obéît aux ordres, trouvant lâche l’attitude de son chef, Himmler, qui en se suicidant, laisse seul le héros répondre de ses actes.

Ce livre aujourd’hui (que j’ai lu il y a longtemps, il est vrai) est intéressant pour plusieurs points.

Le premier est qu’il décrit l’horreur de la shoah du point de vue des bourreaux.

 

Ensuite, le héros n’est pas décrit comme foncièrement antisémite, mais plutôt comme un médiocre ne faisant que d’obéir aux ordres sans discuter. Il faut dire qu’il a été conditionné dès le plus jeune âge par un père autoritaire.

Cet aspect préfigure la thèse d’Hannah Arendt.

Mais le point le plus important du livre est de montrer que n’importe qui peut devenir nazi.

Lorsque les gens ont faim, la démocratie n’est pas importante. Lorsque les gens ont faim, ils se retournent facilement vers les extrêmes, gauche ou droite. C’’est ce qui est montré dans ce livre par l’intermédiaire de l’histoire du personnage principal.

 

Les Allemands ne sont pas mauvais. Mais la montée du chômage, capitalisé par le diktat de Versailles, a permis une montée du nationalisme allemand et l’arrivée d’Hitler au pouvoir avec des conséquences dramatiques. Il en a été de même en Italie d’ailleurs.

 

Sur ce dernier point, le livre est malheureusement trop moderne.

Déjà en France où la situation économique, engendrée par l’irresponsabilité des partis de gouvernement, engendre la montée des extrêmes, aussi bien l’extrême gauche que l’extrême droite.

 

Mais dans le monde en général.

Exemple particulier : l’attitude de la droite Israélienne, qui a cassé les accords d’Oslo, qui continue à coloniser (voir ici et ici), n’est pas bonne.

Il est important de rappeler inlassablement que la shoah a été un crime. Mais être victime d’un crime ne donne pas le droit d’en commettre un, même s’il est de moindre gravité.

 

De plus, et le plus grave est là, cette politique donne aux palestiniens que du désespoir. Ils les poussent vers un nationalisme, en l’occurrence les islamistes radicaux. Ce n’est pas bon, aussi bien pour l’Israël que nous même, et comme ce fut le cas de la montée du nazisme, les conséquences risquent d’être fortement funestes.

22 Mai 2013 Posted by | Littérature | , , , | Laisser un commentaire